Dans l'Arctique, les Inuits redoutent les effets en chaîne du changement climatique

Dans l'Arctique, les Inuits redoutent les effets en chaîne du changement climatique

Reportage paru dans le quotidien Le Monde (France) - édition du 07.07.09.

 

PANGNIRTUNG (TERRITOIRE AUTONOME DU NUNAVUT) ENVOYÉE SPÉCIALE

Quand les anciens regardent le ciel à Pangnirtung, hameau inuit traversé par le cercle polaire, ils sont désemparés. Mille indices - les nuages, le vent, les animaux, la qualité de la glace à l'embouchure de leur fjord... -, leur permettaient de prédire le temps de leur région, à l'ouest de l'île de Baffin, au Canada. Ils ne s'y hasardent plus.

L'hiver a été l'un des plus froids dont ils se souviennent et des plus humides, avec davantage de neige. L'an passé, c'est le printemps qui avait été extraordinairement doux, provoquant une catastrophe inédite : le 8 juin 2008, un "mur d'eau" était soudain descendu de la montagne, emportant deux petits ponts arrimés dans le pergélisol et dégelé sous ces trombes. Inondé, le village aura vécu sous état d'urgence pendant un mois. Les ponts menaient au réservoir d'eau, à la décharge et à l'usine filtrante d'épuration des eaux usées : à cause du pergélisol, les communautés du Grand Nord canadien n'ont ni égouts ni adduction de l'eau. Des camions-citernes officient chaque jour auprès des particuliers.

Après l'inondation, les 1 300 habitants de "Pang" ont repéré des oiseaux, inconnus sous cette latitude : des geais bleus et des merles. Et la glace a pris plus tard en automne, perturbant la migration des caribous qui eurent à détourner des rivières au lieu de se déplacer sur leurs eaux glacées. Idem pour les ours blancs qui suivent les caribous, dont ils se nourrissent.

"Ici comme ailleurs dans l'Arctique canadien, le réchauffement climatique n'est pas une illusion ou une menace. Chaque jour, il affecte ceux qui y vivent, tous très dépendants de la chasse et de la pêche", dit Ron Mongeau, administrateur de la commune. D'après les relevés du ministère canadien de l'environnement, la température moyenne s'est élevée de 1,4 degré par rapport à la décennie 1990-2000 dans la région. Depuis 2000, la température estivale y a dépassé le record de 22 degrés sur cinq ans consécutifs.

CADRE SPECTACULAIRE

A la faveur du réchauffement, Pangnirtung est devenu depuis quelques années la halte estivale de bateaux de croisière promenant de riches américains ou européens. D'autant que le village, lové dans un cadre spectaculaire, est réputé pour l'omble de l'Arctique qu'on y pêche, dont la chair était ici rose foncé. Elle s'est éclaircie peu à peu car ce poisson de la famille des saumons ne trouve plus de crevettes et se rabat, selon les pêcheurs, sur de petits capelans.

Ex-député au Parlement d'Iqaluit, la capitale du Nunavut (entité politique septentrionale du Canada créée il y a dix ans) située plus au sud, Peter Kilabuk a "adapté son calendrier de chasse et de pêche, comme tout le monde". L'omble descend la rivière dès que la glace fond, en juillet autrefois, en mai maintenant. Et à l'automne, les caribous (suivis par les ours) s'approchent plus tardivement du hameau. Inutile de les chercher avant, au risque qu'une glace trop fragile engloutisse les motoneiges et leurs conducteurs, des accidents de plus en plus fréquents.

L'inondation de l'été dernier confirme, à ses yeux, l'accélération d'un réchauffement dont les premiers signes ont été notés il y a près de vingt ans par les anciens.

Tous redoutent un engrenage : si le pergélisol se met à dégeler partiellement durant les mois plus doux, maisons et bâtiments vacilleront. Emprisonnées dans le sol gelé, des tonnes de méthane s'échapperont alors, contribuant à polluer davantage l'atmosphère de la terre entière...

Martine Jacot

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06 July 2009

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